Ayant suivi le webinaire organisé par l’IFE sur le thème « Face à la crise sanitaire, l’École en mutation », j’ai reçu le lien vers la page des ressources[1]. Y figure un appel à contribution pour le n° 200, septembre 2022 de la revue Diversité qui portera également sur « Face à la crise sanitaire : l’école en mutation ». Les thématiques indiquées sont les suivantes : « l’autonomie des élèves ; la reconfiguration des relations école-famille ; les impacts sur le travail et l’orientation des bacheliers et des étudiants ; le travail collectif et la distanciation ; l’inclusion scolaire ; le plurilinguisme ; la santé des élèves et des enseignants. »[2] Dans cette formulation il y a quelque chose qui me gêne.
L’absence de l’orientation dans la pensée publique
Du coup, j’ai exploré les rapports de divers organismes officiels déjà publiés à propos des effets de la pandémie sur l’école.
Le travail d’enquête et de synthèse réalisé par la DEPP est présenté[3] sur le site du ministère de l’Education nationale. La seule trace de préoccupation concernant l’orientation des élèves et l’effet sur celle-ci, de la pandémie est ainsi formulée : « Leur exploitation permet d’évaluer l’impact en termes de décrochage et d’orientation : en lycée professionnel, baisse des taux de sortie après une première année de CAP, une seconde ou une première professionnelle. Davantage d’élèves ont poursuivi leur parcours de formation en lycée professionnel. » En fait il s’agit de la présentation d’un nouveau dispositif, InserJeunes : « un système d’information obtenu par rapprochement de bases de données administratives dites « scolarité » (remontées administratives des inscriptions des élèves et des apprentis) et de bases de données dites « emploi » (basées sur les déclarations sociales nominatives). »[4] Donc aucun rapport avec l’accompagnement et le processus d’orientation.
La Mission laïque française, le 14 mai 2020, propose un ensemble d’articles aux auteurs divers, sous le titre interrogatif, « Quelles perspectives pour l’école en France après 5 semaines de confinement ? »[5] Malgré le nombre et la diversité des auteurs, l’orientation est un thème ignoré.
L’Assemblée nationale a publié un rapport, daté du 16 décembre 2020, fait au nom de la commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse[6], dont les auteurs sont Sandrine Mörch et Marie-George Buffet, députées. Pas un mot sur l’orientation scolaire dans le rapport.
Enfin, sur le site Vie-Publique, une synthèse de la situation[7] est publié le 18 janvier 2021. L’orientation y est également absente.
Dans les médias, les stages et Parcoursup
L’une des préoccupations récurrentes dans les médias concerne les stages en entreprise, obligatoires pour les collégiens depuis quelques années. Comment les réaliser alors qu’il y a des confinements qui touchent bien sûr également les entreprises, ou que le télétravail se généralise ? Heureusement des petits malins proposent des solutions : « Les élèves de collège et lycée reprendront le chemin de l’école mardi 1er septembre. Le Président de la République annonce une rentrée “la plus normale possible”. Mais comment organiser les stages de découverte dans une période de crise sanitaire ? Grâce à une app 100% digitale, Myfuture anticipe deux formats d‘immersion en entreprise : en présentiel et à distance. »[8]
Mais la préoccupation majeur porte sur Parcoursup. Même si Parcoursup est un outil électronique et donc permet le distanciel, il nécessite un énorme travail de collecte d’informations, d’exploration de celles-ci, et de rédaction de documents, mais aussi de réflexions et de décisions. L’isolement des lycéens a mis en évidence le besoin essentiel d’accompagnement. Ainsi, par exemple, Mélanie Tavernier, Professeure de Sciences Economiques et Sociales écrit sur son blog : « La dernière année du lycée marque la fin de l’enseignement secondaire et les résultats du baccalauréat s’inscrivent aujourd’hui encore comme un rituel de passage vers la vie d’adulte. C’est pour beaucoup de jeunes, le moment où l’on quitte le domicile familial, où l’on rencontre une nouvelle ville et où l’on tisse de nouvelles amitiés. Mais, cette année, les incertitudes liées à la crise sanitaire sont venues s’ajouter à l’inquiétude toujours plus grande de disposer du bon diplôme, de faire LE bon choix pour s’insérer au mieux sur le marché du travail et l’étape de l’orientation est devenue plus délicate. »[9]
Le 7 mai 2020 le Ministre, Jean-Michel Blanquer s’adresse sur Youtube à toute une série de personnels de l’Education nationale, et en particulier aux Psychologues de l’Education nationale[10]. Il en a besoin non seulement pour la santé mentale des élèves, perturbée par la pandémie et le confinement, mais aussi pour soutenir psychologiquement les équipes éducatives qui rencontrent de grandes difficultés. J’en fais l’écho sur mon blog[11]. « Et puis, soudain, la crise sanitaire du covid arrive en France. Le confinement s’installe et les personnels du secondaire (et du primaire bien sûr) se débrouillent comme ils peuvent pour tenir le contact avec les élèves et les familles ; il en restera peut-être quelque chose. Deux mois après le déconfinement s’annonce, en partie et sous beaucoup de conditions. Beaucoup d’angoisses se manifestent, et notre ministre se souvient le 7 mai et dans plusieurs vidéos distinctes, il s’adresse à différents personnels « non-enseignants » dont les psychologues de l’Éducation nationale. Une nouvelle utilité apparaît. Elle se trouvait déjà en filigrane dans les « cellules d’aide psychologique » constituée lors d’événements traumatiques. Il s’agissait tant de soutenir les élèves que les parents et les enseignants dans ce type de situations. Et là, très clairement le ministre lui-même fait appel à ces compétences pour soutenir et accompagner les élèves, mais surtout les équipes éducatives qui vont reprendre l’activité dans les établissements. »
L’oubli des procédures et du collège
En avril 2020 j’avais publié un article sur mon blog dans lequel je m’interrogeais, « Les procédures d’orientation en temps de confinement et après »[12]. Le Ministère tentait de proposer quelques outils d’accompagnement des élèves, des familles et des équipes, mais il ne remettait absolument pas en cause les procédures d’orientation en particulier en troisième. La question des notes, qui jouent un rôle pourtant central dans les procédures d’orientation et en particulier d’affectation, est soulevée dans un article de Libération[13] du 9 avril 2020 : « La continuité pédagogique fait ressurgir le débat sur la notation, une question à laquelle l’Education nationale a récemment apporté des précisions tout en invoquant la « liberté pédagogique » des enseignants. » Et le Ministère est resté sourd à cette interrogation.
L’appel à contribution
C’est donc dans ce contexte que je m’interroge sur l’appel à contribution de la revue Diversité.
Je suis heureux que l’orientation apparaissent dans cette liste de thématiques de mutations possibles du système scolaire, alors que, comme on l’a vu plus haut, elle n’a pas été dans les préoccupations des organismes officiels. Je me dois donc d’applaudir à cette initiative et j’attends avec impatience de pouvoir prendre connaissance des contributions.
Mais, en même temps, je suis très surpris par la réduction de la thématique réduite à « l’orientation des bacheliers et des étudiants ». C’est pour moi un symptôme grave du fonctionnement de notre système scolaire. La fonction triage du collège et le maintien des procédures d’orientation en fin de troisième ne font plus l’objet d’interrogations, de questionnements, sur le fonctionnement de notre système. La sélection ; et la discrimination qui en résulte, sont totalement « invisibles ». Les procédures d’orientation se sont fondues dans le fonctionnement naturel de notre système scolaire.
Bernard Desclaux
[1] http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/groupes-de-travail/face-a-la-crise-sanitaire-lecole-en-mutation/face-a-la-crise-sanitaire-lecole-en-mutation
[2] http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/groupes-de-travail/face-a-la-crise-sanitaire-lecole-en-mutation/appel-a-contribution-revue-diversite
[3] La DEPP et l’impact de la crise sanitaire https://www.education.gouv.fr/la-depp-et-l-impact-de-la-crise-sanitaire-305177
[4] L’insertion des jeunes après une formation en voie professionnelle https://www.education.gouv.fr/l-insertion-des-jeunes-apres-une-formation-en-voie-professionnelle-307956
[5] https://www.mlfmonde.org/tribunes/quelles-perspectives-pour-lecole-en-france-apres-5-semaines-de-confinement/
[6] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cecovidj/l15b3703_rapport-enquete#
[7] Covid-19 : santé, éducation, emploi, quelles incidences pour les jeunes ? https://www.vie-publique.fr/en-bref/278115-covid-19-incidences-de-la-pandemie-sur-les-jeunes
[8] Rentrée 2020 : comment la pandémie de Covid-19 influence l’orientation des jeunes ? https://medium.com/stagedecouverte/rentr%C3%A9e-2020-comment-la-pand%C3%A9mie-de-covid-19-influence-lorientation-des-jeunes-5023d2cbc007
[9] Comment la Covid-19 a affecté le choix d’orientation des élèves. Orienter les élèves est un processus complexe, d’autant plus cette année. https://www.huffingtonpost.fr/entry/comment-la-covid-19-a-affecte-le-choix-dorientation-des-eleves-blog_fr_60a67013e4b0a256830fb2fd
[10] COVID-19 : Message aux psychologues de l’éducation nationale https://www.youtube.com/watch?v=tYGlgzDcwi8&feature=youtu.be&fbclid=IwAR0ZOyI32BJhnki2kDdtFPPlV7VshhzJS13L8xLCmIrspgt_W3cJNmKWYOI&app=desktop
[11] Vers la réduction des ambiguïtés, samedi, Mai 30 2020 mon blog http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2020/05/29/vers-la-reduction-des-ambiguites/
[12] http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2020/04/15/les-procedures-dorientation-en-temps-de-confinement-et-apres/
[13] Confinement : évaluer ou ne pas évaluer les élèves, telle est la question, https://www.liberation.fr/france/2020/04/09/confinement-evaluer-ou-ne-pas-evaluer-les-eleves-telle-est-la-question_1784607?fbclid=IwAR131V0XR86Of0vt0H2jHlTFY8eUc_RkiXC8UHXDiepgeg6FP021FGN2bMQ